En date du 30 mai 1974, Auguste MERLAND écrit à Gilbert GRANDVAL, lui livrant le déroulé des événements qui se sont produits à BETHINCOURT du 15 au 21 juillet 1944.
Ce courrier a donc été écrit 30 ans après les faits. C’est cependant un témoignage direct de cette période tourmentée, d’un des acteurs que fut Auguste MERLAND, alors maire de la commune et membre de la résistance locale.
Auguste MERLAND est décédé le 22 mai 1995.
« Cher Monsieur Grandval,
Concernant la dramatique histoire de Béthincourt, j’aimerais vous informer de quelques faits et de quelques propos, aussi précis qu’objectifs.
Dans ces quelques pages, je vais m’efforcer de vous les retracer aussi nettement que je les ai vécus.
Mon rapport s’étale sur 7 journées successives, soit : – journée du 15 juillet – journée du 16 juillet – journée du 17 juillet – journée du 18 juillet – journée du 19 juillet – journée du 20 juillet – journée du 21 juillet
Journée du 15 juillet :
Déroulement du « drame » de la camionnette allemande. Entre parenthèses, ce drame ne s’est pas déroulé précisément à Béthincourt.
Dans le matin du 15, lors d’une battue administrative allemande de destruction de sangliers, un chauffeur allemand, au volant de son camion, convoyait des chasseurs au lieu de chasse dans la forêt domaniale d’Esnes et du Morthomme.
Parallèlement, en lisière de bois, un groupe de F.T.P. semblait rechercher l’action. Il se trouve sur le parcours de la camionnette. A la vue du véhicule, ce groupe se prépara à faire feu. Par hasard, un chasseur d’Esnes était présent lors de cette action : Mr Thil, ancien lieutenant. Ce dernier cria : « Ne tirez pas, il y a des chasseurs à l’intérieur du camion ! ». Ce qui eut pour effet de différer l’attaque, fort heureusement !
Ce fait est resté vivace dans l’esprit de Thil Pierre (habitant Malancourt, fils du premier cité), pourtant fort jeune à l’époque. D’une voix menaçante, le Chef des F.T.P. a annoncé clairement : « Petit, si tu dis quelque chose, je te fous un coup de révolver ! » Le père Thil essaya de les calmer et leur expliqua qu’il était dangereux de faire le coup dans l’immédiat.
C’est après que la chasse ait été lancée, plus exactement au deuxième appel de corne, que ce groupe de F.T.P. s’est emparé du véhicule et de son chauffeur. Le lieu exact de cet attentat se nomme « La Culée », sur le territoire d’Esnes. Mais ceci n’est qu’un début. Les F.T.P. sont grimpés dans le camion et le conducteur, sous la menace bien sûr, doit prendre la route en direction de Béthincourt.
A ce moment là, ma fille, Adrienne Merland, croisa l’engin. L’allemand conduisait toujours sous la garde des F.T.P., dont l’un d’eux s’adressa à elle pour lui dire « de la fermer ». Là-dessus, ils se sont dirigés vers les bois d’Avocourt où l’Allemand fut livré à des maquisards russes qui l’exécutèrent. Le corps de ce dernier n’a, semble-t-il jamais été exhumé.
En 1950, un responsable des sépultures militaires nommé Platel de Consenvoye est venu chez moi pour se renseigner sur l’endroit où pouvait se trouver le corps. Il croit que ce malheureux avait été exécuté par les maquisards de Béthincourt.
Journée du 16 juillet :
A la suite de la disparition du camion (et de son chauffeur), les Allemands ont pris en otages les chasseurs ayant participé la battue de la veille. Parmi ceux-ci, un homme de Béthincourt : Mr LEROY. Ces personnes ont été emprisonnées à Verdun du 16 juillet au 24 août 1944.
Journée du 17 juillet :
Convoqué par la Feldgendarmerie, j’ai du subir un interrogatoire durant 6 heures. Les questions n’ayant trait qu’à la disparition du camion (naturellement, je leur ai dit je ne savais rien).
De retour à Béthincourt, ma fille me signala qu’un homme désirait se présenter à moi. Mais, voyant mon absence se prolonger, cet homme avait pris la direction de la commune d’Avocourt. Aussitôt après, ma fille courut prévenir mon frère Gabriel (se trouvant à proximité dans les champs) et l’informa qu’un homme sortait de la maison et avait insister pour rencontrer deux résistants, à savoir Merland Auguste et Gabriel.
Immédiatement, mon frère et Lefin qui travaillait avec lui sont partis en direction d’Avocourt. Ils sont parvenus à rejoindre cet homme dans un café (chez Béranger)et par la suite, l’ont ramené à Béthincourt.
A leur retour au village, j’étais sorti de l’interrogatoire. Cet homme est alors venu se présenter à moi en tant que résistant appelé Lefevre, nom de guerre « Midi » sous le numéro 17, et faisant partie de l’Armée Blanche d’Arlon.
Il m’annonça une mobilisation générale, très proche des hommes de 18 à 45 ans pour la zone de Bras à Clermont.
Ne le connaissant pas, je lui ai dit que ne m’occupais pas de Résistance.
Il a insisté : « Vous pouvez me croire, je viens de quitter, il y a quelques heures, trois bons résistants : Mr Jannepin et son fils (de 16 ans), habitant Pillon, et Mr Tonnelier de Billy les Mangiennes ». Je suppose que ces trois hommes, dénoncés par Lefevre, ont été exécutés, car jamais ils ne sont rentrés chez eux après leur emprisonnement.
D’autre part, le fils Jannepin était dans la même cellule que mon fils René Merland. D’après lui, son jeune compagnon avait les oreilles arrachées. En outre, à la relaxation de mon fils, le 24 août 1944, ce gamin était encore prisonnier, ainsi que son père et Mr Tonnelier.
Finalement, le dénommé Lefevre fut placé sous la garde de mon frère, de Lefin, de Latray, d’André et sous l’œil vigilant d’un Marocain ( prisonnier évadé que j’hébergeais).
Journée du 18 juillet :
Dans la matinée, je me suis rendu à la ferme de Mr Tintelin pour informer de la présence de ce suspect. Là, j’ai rencontré Lardier (agent de liaison) qui m’a prié d’aller voir le Capitaine Ollivier, Chef du 4ème secteur, à Bras chez Mahut. Par la suite, je suis reparti par Avocourt où j’ai discuté du « camion volé » avec un résistant, mon ami Pernet.
Chose importante. Pernet m’a alors déclaré : « L’Allemand, ils l’ont assassiné ! ».
Je suis alors rentré à Béthincourt où j’ai pu voir ma femme, mon frère et Robin (à ce moment-là en convalescence). Je les ai informés du fait que l’Allemand avait été tué cruellement et sauvagement à coups de baïonnette. Robin, aussitôt s’enquit : « Où ça ? ». A ceci, je répliquai de suite, « je te le dirai plus tard ! » (car j’avais peur qu’il ne parle).
Dans la soirée du 18, Robin a voulu garder le prisonnier, et de ce fait, a couché dans la même chambre ainsi que Jules Guillain. Lefevre, qui s’étonnait de son état de détenu, nous demanda (à mon frère et à moi-même) « Vous ne voulez pas me lâcher, pourtant je suis un bon résistant ! ».
Journée du 19 juillet :
Tôt dans la matinée, je me suis rendu à Bras-sur-Meuse, afin de contacter le Capitaine Ollivier. Malheureusement, je n’ai pas pu le joindre. Cependant, j’ai eu affaire à l’Agent Schweitzer qui a essayé de le toucher, mais en vain (Il devait être du côté de Montmédy).
Durant mon absence, un contrôleur du ravitaillement est arrivé chez moi (un dénommé Delseau) qui en a profité pour lier conversation avec le traitre Lefèvre. Il l’a questionné, entre autres, sur son lieu de naissance. Ce à quoi le prisonnier lui a répliqué : « Ecouviez » et en outre, il a précisé son nom de famille.
Delseau a, par le fait, effacé les soupçons pesant sur Lefevre devant Robin, puisqu’il lui a raconté qu’il connaissait très bien la famille de cet homme car il était au 155ème RI de Forteresses occupant la Ligne Maginot à Ecouviez et, par dessus tout, que la famille était fort honorable. Voyant cela, Robin a relâché Lefevre. Le malheur était fait.
Journée du 20 juillet :
Au cours de l’après-midi, Lefin s’est rendu à Avocourt chez Mr Pernet -Agent Technique des Eaux et Forêts). Ce dernier, apprenant la nouvelle de la relaxation de Lefèvre a chargé Lefin de nous faire savoir qu’il fallait faire attention plus que jamais car l’affaire semblait fort douteuse. Suite à cet important avertissement, mon frère et moi-même avons décidé d’aller coucher dans les champs.
Cette sage décision nous a permis d’alerter en temps utile les hommes du village lors de l’arrivée des Allemands.
Journée du 21 juillet :
Vers 2 heures 30 du matin, par la route d’Esnes, une longue colonne de camions allemands s’approche de Béthincourt. A 1km500 du village environ, ils stoppèrent leur marche.
Aussi vite que possible, nous sommes redescendus à Béthincourt avertir quelques personnes. Seules, 17 ont pu s’échapper et prendre le maquis.
A 4 heures du matin, le village état complètement cerné par au moins 2500 Allemands.
Après avoir rassemblé, devant ma maison, tous les hommes, femmes et enfants restés au village, l’ennemi les a emmenés à Verdun où ils ont été enfermés au Coq Hardi, siège de la Gestapo.
Parmi ces prisonniers, 5 femmes seront internées la prison Charles III à Nancy pour n’être relâchées que le jour de la Libération. En voici les noms : Lefin Charlotte, Robillard Félicienne, Lamour Aline, Merland Marie-Louise, et Merland Gabrielle.
A propos de ROBIN – LEFEVRE :
Il n’y a pas à en douter, Robin a parlé avec le traitre Lefevre, car après la guerre, lors de l’arrestation de Johann Schop, interprète de la Felgendarmerie à Verdun, j’ai appris certains faits, durant son interrogatoire et au cours d’une discussion avec lui.
Il m’apprit qu’il connaissait bien Lefevre et ses activités. Qu’en outre, il avait lu ses rapports signalant en autres :
- que Robin avait confié à Lefevre qu’il était sous-officier dans la Résistance.
- qu’il appartenait à un grand réseau. Donc, d’après lui, le village de Béthincourt était un centre important de résistance.
D’autre part, Mr Johann Schop m’a affirmé que, lors de la fouille de la commune le 21 juillet 1944, pas un document, pas un arme n’avaient été saisis.
A propos des soi-disant armes et du matériel de l’Etat Major :
Une précision avant de commencer :
Le Colonel Grandval était appelé « Patron » par ses hommes.
Donc, courant juin, le Patron (dont je ne connaissait pas le grade) ; ainsi que Lamour, Merland Gabriel et moi-même sommes allés dans la zone rouge pour aménager une « Cagnat », de la guerre 14-18, en entrepôt. L’abri était équipé d’un lit et pouvait être gardé en permanence.
Le matériel s’y trouvant stocké, sous la surveillance de Jules Guillain (dit Coco), était le suivant :
Matériel de l’Etat Major : poste émetteur – récepteur – caisses de brassards F.F.I. – une machine écrire – valises (4 ou 5) contenant des affaires personnelles.
Armement personnel : (appartenant à Merland Auguste) – mitrailleuses (2) – fusils-mitrailleurs (2) – mousquetons (5) – lebel (5) – grenades quadrillées (125) – caisses de cartouches, avec balles traçantes et sur bandes rigides (8) – cartouches de fusils-mitrailleurs (3 à 4000);
En conclusion :
Je tiens à faire savoir également, que le Colonel Grandval était très strict et que la discipline régnait uniformément dans son groupe, que 3 ou 4 jours avant le 13 juillet 1944, le Patron m’avait chargé de trouver un nouveau refuge. Il avait, m’a-t-il dit, reçu des ordres de quitter Béthincourt.
Je suis allé trouver Mr Tintelin (habitant la ferme d’Exmosieux) pour lui demander d’héberger les Résistants. Par ailleurs, c’est moi-même qui ai conduit Mr Grandval pour reconnaître le nouveau refuge.
Lorsque le Colonel Grandval et ses camarades ont quitté Béthincourt le 13 juillet en fin de soirée, le village était parfaitement paisible et rien ne pouvait faire entrevoir les évènements dramatiques qui s’y sont déroulés par la suite.
Pour terminer, je précise, une nouvelle fois, que les personnes restées au village le 21 juillet 1944 au matin n’ont pas été enfermées dans l’église, mais rassemblées DEVANT MA PORTE ! Aucune d’entre elles n’a été tuée ou déportée.
Cécile Gobet et Lardier, arrivant par malheur à Béthincourt ce même juillet au début de la matinée et tombant sur les Allemands, ont sans doute tenté de s’enfuir et ont été tués.
Veuillez agréer, Cher Monsieur GRANDVAL, mes amicales et respectueuses salutations. »